Les éditions Magnard ont lancé leur collection M Les romans il y a deux ans et elle compte désormais neuf titres. Deux secondes en moins est le dernier sorti. Un roman magnifique dont la partition se joue sans fausse note, à quatre mains.
Igor était un adolescent bien dans sa peau, heureux, plutôt mignon avec un groupe de copains soudés et une petite copine amoureuse.
Rhéa vivait le grand amour auprès d’Alex et passait le reste de son temps avec ses deux meilleures amies Juline et Louise.
L’imparfait : le temps du passé, un temps dont le nom évoque ce que sont devenues leurs vies. Et pour que tout bascule, il n’aura fallu que deux petites secondes.
Pour Igor, une inattention de son père au volant. Et le voilà défiguré. Effondré et en colère.
Pour Rhéa, Alex qui se jette sous un train. Et la voilà amputée d’une partie d’elle-même. Effondrée et en colère.
Deux adolescents, deux vies brisées, deux douleurs.
Igor ne veut plus sortir de chez lui et rejette son père.
Rhéa peine à s’intégrer dans son nouveau lycée. Elle ne comprend toujours pas ce qui a poussé Alex à commettre l’irréparable. Elle se sent coupable : de ne rien avoir vu et surtout de continuer à vivre.
Et si leur passion pouvait leur redonner le goût de vivre ? Il faudrait pour cela un magicien, une personne qui ne se laissera pas abattre face à tant de rage et d’émotions contenues.
La passion, elle est là. Elle est en veille depuis leurs drames respectifs. C’est le piano. Tous deux maîtrisaient la pratique de cet instrument avant que tout explose.
Le magicien : c’est Fred, un prof du conservatoire très à l’écoute qui va, grâce à la musique, tenter de les ramener à la vie.
Joueront-ils la partition jusqu’au bout ?
Il est long le chemin de la reconstruction. Marie Colot et Nancy Guilbert nous y font avancer avec délicatesse.
Le récit alterne les deux voix : celle d’Igor portée par Marie Colot puis celle de Rhéa par Nancy Guilbert. Un chapitre pour l’un, un chapitre pour l’autre, et ainsi de suite tout le long du roman. Les deux peines se croisent, se font entendre, grandissent jusqu’à la rencontre où elles vont se mêler, se comparer et peut-être s’apaiser l’une grâce à l’autre, ou l’inverse.
C’est un roman assez dur. Le sujet l’est et les histoires des deux adolescents inspirées de drames vécus dans l’entourage des deux autrices le sont aussi.
Néanmoins, tout est traité avec habilité, délicatesse sans tomber dans le trop larmoyant ou le surfait.
En effet, ce n’est pas non plus édulcoré. Il y a beaucoup de violence et de rage chez Igor et Rhéa. C’est éprouvant de les regarder se débattre avec des sentiments qui les dépassent. On voudrait les aider, les soulager…
Les deux adolescents sont crédibles dans cette douleur qui les paralyse et les enferme.
Car un drame, il faut le digérer, le surmonter. L’oublier non c’est impossible : il faut vivre avec.
Mais c’est aussi avec les autres qu’il faut pouvoir vivre. Les autres qui ne comprennent pas (pour Rhéa) et qui ne veulent pas voir parce qu’ils ont peur (pour Igor). Et souvent, s’isoler est une solution. Mauvaise, certes. Mais si on ne s’expose pas, on ne prend pas le risque de souffrir. Les deux autrices ont bien retranscrit dans un cas comme dans l’autre cette difficulté à continuer d'évoluer normalement auprès de personnes qui ne sont pas touchées de la même façon.
Même au sein de leur famille, les deux adolescents ne trouvent pas de réconfort. Igor surtout qui ne parvient plus à regarder son père en face, responsable de son accident. Il lui en veut tellement ! Sa mère, elle, se trouve entre les deux, tiraillée. Leur situation familiale est terrible.
Pour Rhéa, sa mère et ses frères voudraient qu’elle passe à autre chose. Mais elle n’y arrive pas et elle a le sentiment que personne ne la comprend. Elle se sent complètement abandonnée.
Les deux héros vont devoir apprendre à se laisser approcher, à laisser cette peine un tout petit peu de côté pour réapprendre à vivre, enfin. Après tout, il est surtout question de cela.
Et aussi d’être heureux, à nouveau.
Le rayon de soleil de ce roman, sans conteste, est Fred (et Obama, il ne faut pas que j’oublie Obama…j’en parle après). Quel homme de cœur !
Son humour et son naturel (je crois que c’est là que réside sa force) vont venir à bout des carapaces que se sont forgés Igor et Rhéa. Avec l’un comme avec l’autre, il sait manœuvrer. C’est très fort. Il ne cherche pas à les mettre en difficulté. Enfin si un peu, juste ce qu’il faut, comme avec n’importe quel adolescent « normal ». Auprès de Fred, Igor et Rhéa se sentent enfin « normaux », ils peuvent être eux-mêmes.
C’est un magicien ! Avec son thé, ses calligraphies chinoises et son flegme à toute épreuve, il est charmant. Il arrive d’ailleurs très souvent à ses fins.
Et puis il y a Obama. Qui est Obama ? Oh, puis après tout, vous ferez sa connaissance en lisant ce roman. C’est un protagoniste qui, à sa façon, détend souvent l’atmosphère.
N'oublions pas l'élément central de ce texte : la musique. On dit qu’elle adoucit les mœurs. C’est vrai, sans aucun doute. Elle peut aussi être douloureuse quand elle ne se plie pas à votre volonté. Pour Rhéa surtout, jouer c’est aussi repenser à Alex. C’est une épreuve de se remettre au piano.
Mais avoir une passion et s’y donner à fond ne peut être que salvateur. Surtout quand on est épaulé et qu’on la partage.
Pour conclure, je vous invite à vous laisser bercer par la musique des mots de Marie Colot et Nancy Guilbert. Elles nous proposent un texte difficile mais vraiment nécessaire. C'est plein d'émotion. C'est beau.
Le bonheur est fragile, volatile et parfois compliqué à réapprivoiser quand il semble nous avoir abandonné mais il n'est jamais trop tard pour essayer d'être heureux à nouveau.
Ce roman m'a fait penser à un autre qui m'avait également beaucoup touchée : Le voyage immobile de Valentine Goby chez Actes Sud Junior paru en 2012.
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