Milly Vodovic

Soumis par HashtagCeline le lun 15/10/2018 - 21:53
Remarquable, ce texte l’est pour moi à bien des égards. Ne serait-ce déjà que pour sa splendide couverture illustrée par Jeanne Macaigne et sa tranche bleue ciel… Mais le contenu est aussi à la hauteur de la première impression.

 

J’ai mis du temps à lire Milly Vodović. Pas parce que ce roman m’ennuyait mais parce qu’il fallait que je le prenne, ce temps. Pour m’imprégner de l’écriture de Nastasia Rugani et de l’univers foisonnant et fourmillant, déstabilisant et émouvant de Milly, Milk, Vodović.

Je l’ai donc lu, lentement, précautionneusement et très attentivement. Je ne voulais rien manquer de la beauté, de la précision avec laquelle l’autrice nous racontait son histoire, cette histoire hors du commun, hors du réel. 

 

 

« Alors une fois sous le ciel satiné, les yeux sanglés par le soleil, elle hurle. C’est pour fendre l’air à l’aspect sirupeux. Entre les salissures de fleurs et de sang, elle hurle. Elle hurle grand, aigu. Longtemps. Elle hurle et l’écho lui rend son cri délirant. Elle hurle de nouveau, épatée par sa solidité. Mais cette fois, la place Saint-Bates ne lui rend rien d’autre que l’écho d’une ville sans son frère. »

Une fois la dernière page tournée, une fois le livre refermé, je me suis sentie un peu étourdie, sonnée, songeuse mais avec une envie folle d’en parler tout en étant sûre d’avoir des difficultés à le faire. Enfin… aussi bien que ce roman le méritait.
Malgré tout, je me suis lancée. Je devais bien ça à Milly, après tout ce qu'elle m'avait apporté.

 

 

Le résumer ?

Pas si facile que ça non plus.

Ce roman commence dans la douleur d’une humiliation, celle d’Almaz, un jeune homme, qui se fait durement malmener par Douglas Adams et Swan Cooper, deux brutes de son âge habitant eux aussi à Birdtown, sous les yeux de Tarek, son cousin et Milly, sa petite sœur.

Pour Milly, c’est le choc… Pourquoi son frère se laisse-t-il faire ? Alors, elle, intervient. Cela vexe particulièrement Almaz et Tarek. Mais cela force l’admiration de Swan et surtout Douglas. Une gamine de 12 ans qui leur tient tête, ils n’en ont pas l’habitude.

Le soir, à la maison, la tension est palpable. Almaz est très dur envers Milly : « Tu n’es plus ma sœur, déclare-t-il avec un calme inquiétant. Et c’est la dernière fois que je t’adresse la parole. »

Plus tard ce même soir, Milly part pour une « virée nocturne ». Durant cette nuit, il se produit d’étranges phénomènes, début d’une longue série et annonciateurs d’un drame qui semble inévitable.

« Lorsqu’elle regarde enfin vers l’entrée, Almaz est là, se balançant d’avant en arrière, pareil au punching-ball suspendu au plafond du garage des voisins. Il semble ensorcelé par un petit livre qu’il tient près de son oreille, à la manière d’un coquillage diffusant l’écho des vagues. La présence de sa sœur ne le trouble pas le moins du monde.

Il continue de murmurer :

- Promis… Popeline, je te fais confiance. Oui, je vais y aller, promis.

- Ah ah ! s’exclame Milly, en pointant ses doigts vers lui à la manière d’un revolver.

Almaz ne réagit pas. Il ne lui répond pas et lui tourne le dos, le livre à présent contre son cœur. 

- Pop va m’apporter des coccinelles, dit-il face à la porte.

- Qu’est-ce que tu racontes ?

- Pop va m’apporter des coccinelles, il faut que je m’en aille. »

 

 

 

 

Ce texte ne vous laissera pas indifférent, ça je peux vous l’assurer.

Soit vous n’adhérerez pas à la narration singulière de Nastasia Rugani et vous abandonnerez Milly à son sort, pourtant extraordinaire. 

Si vous décidez, comme moi, de partager son histoire, je vous promets une expérience de lecture exceptionnelle auprès de personnages forts et tout en nuances, dans un monde d’errance entre réel et imaginaire.

Entre ce qui est, ce qui n’est pas et ce qui n’est plus, la réalité dépasse la fiction et la fiction prend le pas sur la réalité. Enivrant et hypnotique.

Au milieu de cette nuée de coccinelles et autres curiosités, Nastasia Rugani nous retrace l’histoire poignante des Vodović, trop différents aux yeux des autres habitants de la ville. La famille tente pourtant d’oublier son passé traumatique mais les malheurs semblent encore vouloir se conjuguer au présent.

A Birdtown, Milly, son grand-père Deda, sa mère Petra, son cousin Tarek et son grand frère Almaz font profil bas car dans cet endroit et ce pays où ils pensaient trouver refuge, ils ne sont finalement pas les bienvenus. Dans ces conditions, difficile de passer à autre chose.

 

« Sur le pas de la porte, ses pieds nus font bien attention de ne pas traverser la frontière invisible entre elle et la douleur. Elle la tient à distance, dans cette pièce et ailleurs, à quelques pas. Juste ce qu’il faut pour que le quotidien reprenne le dessus. Elle sait qu’un jour, au beau milieu d’une conversation avec ses collègues ou bien quand elle se recoiffera dans le bus, la souffrance décidera pour elle. Elle lui dira : « Maintenant. » Elle lui fera perdre la tête quelques semaines. Ce jour-là, elle criera longtemps, comme elle avait crié dans le rayon des produits ménagers d’une supérette, des mois après la fin de la guerre. » 

 

 

Ce texte comporte une grande part de violence : celle du quotidien en ex-Yougoslavie vécue par la famille Vodović, celle du déracinement qui a suivi, celle des hommes comme Swan, Archie, Douglas mais aussi celle de la vie et de la mort qui frappe encore et toujours.

Milly doit faire face seule à toute cette violence. C'est difficile d'autant plus que la réalité est peu à peu déformée par une autre plus extraordinaire qui occupe de plus en plus de place. Et cette autre réalité est toute aussi violente voire pire. Les créatures qui la peuplent sont inquiétantes et menaçantes  

Ce roman, comme son titre l’indique, c’est celui de Milly. Elle en l’héroïne touchante, forte, combative, passionnée et attachante. Mais si c'est une héroïne, c'est celle d'une pure tragédie. Pourra-t-elle éviter le drame? Pourra-t-elle déjouer les tours de ce destin qui semble tout tracé?

Elle ne se laisse pas faire et elle cherche la vérité. A-t-elle raison? Que va-t-elle découvrir? Et ne risque-t-elle pas de s'y perdre?

On tremble pour Milly. On sent le danger qui rôde et on espère très fort qu'elle sera épargnée...

«  - Pour de vrai ?

- Je ne crois pas au « pour de faux ».

Elles se regardent, mais à l’intérieur, elles se parlent. Un long dialogue souterrain, riche de cailloux, lancés sur des petits garçons crâneurs, de solitudes ravies et de renards généreux. Des fragments de vies ne concernant pas les autres. » 

Merci Nastasia Rugani pour ce texte inclassable, poétique et d'une grande sensibilité qui m’a totalement bouleversée.

 

 

#PrixDuVendredi

 

Nastasia Rugani a reçu cette année la Mention Spéciale du Prix du Vendredi pour son roman Milly Vodović.

 

#ADécouvrir

 

Nastasia Rugani est aussi l'autrice d'un autre roman : Tous les héros s'appellent Phénix paru en 2014 à l'école des loisirs. Un texte très puissant et terrible.

#PourQui?

 

A partir de 15 ans, "plus ou moins"

Coup de cœur !
Illustrateur
Collection
Editeur
Public
Date de sortie
Nombre de pages
224
Prix
16.00 €
Note
9
Langue
Français
Image

#VosCommentaires

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