Il fallait oser aborder une telle thématique en littérature adolescente. J’avoue que j’étais plus que sceptique en ouvrant POV de Patrick Bard. J’en suis ressortie vraiment convaincue et sûre que ce roman avait sa place dans les mains des adolescents, à partir d’un certain âge bien entendu.
Lucas à quinze ans. Et il accro. Pas au cannabis, ni à l’alcool, ni aux jeux vidéo comme certains adolescents de son âge… Non, ce qui occupe ses nuits, ses jours et son esprit, ce sont les vidéos pornographiques qu’il regarde encore et encore...
Tombé dans une véritable spirale dont il n’arrive plus à sortir, il s'est complètement coupé du monde.
Le jour où ses parents découvrent son secret, ils ne mesurent pas la gravité de l’état dans lequel se trouve Lucas. Et ils pensent qu'après la punition et la discussion, Lucas a compris et qu'il va passer à autre chose.
Mais Lucas, comme un drogué, est désormais trop dépendant. Alors, il continue à regarder des vidéos et s’enfonce de plus en plus dans ce monde virtuel… mais combien de temps cela va-t-il pouvoir encore durer sans qu’un drame survienne ?
Comme je le disais en introduction, écrire un roman comme POV, ça passait ou ça cassait. En l’occurrence, Patrick Bard a bien mené sa barque et cela passe plus que bien.
Il arrive à nous faire comprendre le mécanisme lent et progressif qui amène son héros à se trouver dans cette situation complètement hallucinante. Mais oui pourtant, cela existe et il faut en parler. Je ne vais rien vous apprendre mais, avec Internet, on sait bien que la pornographie est accessible à tous, bien trop facilement. Et il est clair que le cas de Lucas n’est pas isolé. Sa pathologie risque bien de toucher de nombreux adolescents qui aujourd’hui, ne nous voilons pas la face non plus, passent énormément de temps devant les écrans. C’est comme ça. Maintenant, il est important qu’ils soient informés des dangers pour empêcher ce genre de dérive.
Je crois que pour un ado, lire POV peut être libérateur, déculpabilisant et salvateur.
A voir les chiffres de l’industrie pornographique sur internet, on sait bien qu’il y a du monde derrière les écrans. Donc plutôt qu’accuser, il faut discuter. Et POV peut être un bon moyen pour instaurer ce dialogue.
Patrick Bard évoque aussi les coulisses de toutes ces vidéos qui, pour une grande majorité, sont bien souvent consternantes. On y parle de la condition des actrices lors des tournages à grands renforts de détails sordides. Comme Lucas, les adolescents n'en ont pas forcément conscience. C'est intéressant aussi que cela soit abordé.
De manière plus large, POV permet de parler de l’addiction et des comportements à risque. Car s’il est question du cybersexe dans le cas présent, le processus est le même avec la drogue, les jeux vidéo, les jeux d’argent, la nourriture…. Il en est aussi question dans ce roman.
On comprend que Lucas est une victime. Ses parents ne le comprennent pas. Ils sont un peu dépassés par ce qui arrive. Ils sont comme beaucoup de parents qui ne peuvent pas concevoir que de tels problèmes puissent toucher leur enfant. Chez les autres oui, mais pas chez eux. Et puis peut-on penser qu’un ado soit accro au cybersexe aussi jeune ? Oui. Même si POV est une fiction, cela existe. La réalité n'est pas loin.
Au-delà de toutes ces considérations morales, éducatives et préventives, POV est en lui-même un roman addictif. Je l’ai lu d’une seule traite. C’est rythmé, très prenant et le sujet est passionnant. Enfin, moi, il m’a passionnée. C’est différent de ce que j'ai pu lire jusqu'à présent. Ca secoue, ça choque, ça interpelle. Pas de non-dit mais pas trop de détails non plus. C’est juste ce qu’il faut.
Le héros, Lucas, est touchant. On est peut-être un peu déstabilisé par son addiction au départ mais très vite, on comprend. Mal dans sa peau, déconnecté de la réalité, internet lui a servi d’échappatoire. Lucas est handicapé socialement, sentimentalement et sexuellement. Il ne sait plus quelles sont les limites à ne pas franchir ni quels comportements adoptés face aux autres et surtout aux filles. Il pense que dans la vraie vie, tout se passe comme dans les vidéos qu'il regarde en boucle.
Pour nous, lecteurs qui avons toutes les cartes en main, la souffrance de Lucas nous semble bien visible. Mais non. Chez lui, au lycée, personne ne réagit même si Lucas semble exténué, qu'il a pris du poids et que ses résultats scolaires ont chuté. Tous sont loin d’imaginer ce qui se trame dans la chambre et dans la tête du jeune homme. Il va sombrer, encore et toujours.
Jusqu’où, je ne vous le dis pas.
Tout ce que je peux vous dire c’est que malgré tout, POV donne, à travers le parcours de Lucas, de l’espoir et des clés pour s’en sortir. Il n’y a pas de solution miracle mais parler est primordial.
De nombreux romans décrivent des addictions en tout genre. L’addiction au cybersexe en est une et le sujet méritait, comme les autres, d’être abordé. C’est chose faite. C’est une réussite.
Vraiment, je vous invite à découvrir ce roman qui, s’il ne vous plaît pas autant qu’à moi, vous fera sûrement réagir.
Pour ceux qui veulent briser les tabous.
Pour ceux qui n’ont pas peur d’être bousculés.
Pour ceux qui veulent lire un roman qui leur parle sans détour.
Pour un public averti à partir de 14-15 ans.
« Ce qui l’a excité, c’est justement que, du coup, la fille le regardait dans les yeux. Du moins en a-t-il eu l’impression. Il ne savait pas encore qu’on appelait de telles vidéos des POV, point of view, terme anglo-saxon pour « caméra subjective ». Il ne comprenait pas non plus que l’homme forniquait tout en cadrant et en tenant la caméra. Deux emplois pour une seule personne, ça permet de réduire les coûts et d’optimiser les bénéfices. Mais de cela, Lucas ne savait rien alors, pas plus qu’il ne comprenait le sens réel de l’image qu’il voyait. » p.33
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