«J’aurais donné n’importe quoi pour qu’éclate un orage. Les gens s’agitent en vue d’échapper à la pluie; ils cavalent, déstabilisés. Ça ramène un peu d’égalité : moi, je me sens déstabilisée à longueur de temps. Au moins, quand les orages lacèrent le ciel, le tonnerre me rugit que je ne suis pas la seule à souffrir. »
C’est le quatrième roman de Joanne Richoux après Marquise (Sarbacane, 2017), Les Collisions (Sarbacane, 2018) et Toffee Darling (Sarbacane, 2019).
C’est aussi ma quatrième chronique sur un livre de Joanne Richoux.
C’est donc la quatrième fois que je vais essayer de trouver les mots justes pour vous faire passer toutes les émotions que provoque chez moi la lecture de ses textes, quoi qu’elle écrive.
Pourtant, vous allez peut-être me dire que, comme c’est la quatrième fois, je me suis lassée. Mais non.
Et pour cette quatrième fois, je vais sûrement me répéter car Joanne Richoux a encore su m’emporter dans son monde, sensuel, fleuri, coloré et vibrant.
Mais le plus étonnant, c'est qu'au bout de la quatrième fois, elle a encore réussi à me surprendre.
Comme une nouvelle première fois...
Tout commence dans notre réalité. Violette a 17 ans, va au lycée et habite un petit village, Saint-Crépin-L'Hermite, charmante "bourgade de cent habitants", où, il faut bien l'avouer, il ne se passe pas grand chose. Enfin... si. Il s'est passé quelque chose. Mais Violette ne préfère pas trop y penser : Oscar, son frère, a disparu il y a dix ans.
"Ma mère s'était effondrée.
Mon père avait gardé le silence.
Moi, j'avais pleuré à m'en aveugler.
Ensuite, il avait fallu continuer à vivre. Pas évident."
Violette a une amie, Maëva .... enfin, une amie... c’est plutôt la fille d’une amie de sa mère et surtout l’une des seules filles de son âge du village.
"Maëva était de ces gens qui écoutent sans écouter, avec la hâte de répondre."
Mais tant pis, au moins, cela lui fait quelqu'un avec qui sortir. Et ce soir, Violette sort... en compagnie de Maëva donc, de Lucas, un garçon qu'elle tolère avec peine et surtout d'Alexis, son amoureux avec ses faux airs de Louis Garrel.
Mais cette virée nocturne ne va pas se passer comme Violette l’espérait ou l'imaginait.
Déjà, Alexis ne se comporte pas vraiment comme un parfait gentleman. Loin de là.
Alors Violette quitte la soirée précipitamment et rentre chez elle, toute déboussolée et son petit coeur d'artichaut brisé.
En arrivant à la maison, elle a soudain envie de quelque chose : se réfugier dans la chambre d'Oscar où elle ne met pourtant jamais les pieds.
Est-ce l'émotion ou autre chose? Dans cette pièce chargée de souvenirs, elle s'évanouit.
«-Où suis-je?
J’ai levé les yeux vers le ciel : resplendissant, parsemé d’étoiles polychromes qui avait l’air de billes d’écolier. Entre deux nuages joufflus, la lune dispensait son éclat laiteux.
La lune.
Sereine et ronde et rose.
Une minute, comment ça...ROSE?! »
Que s'est-il passé?
Elle était dans la chambre d’Oscar, à regarder cette boîte à musique et... là voilà dans un endroit qu’elle ne reconnaît pas. Rien à voir avec Saint-Crépin...
Et ce jeune homme à moto (plutôt pas mal) qui arrive, qui porte un nom improbable (non mais qui s’appelle Dièse?) et qui lui raconte des choses invraisemblables...
Violette, comme vous qui vous apprêtez à lire son histoire, n’est pas au bout de ses surprises, bonnes et mauvaises.
Pour commencer et être totalement honnête, je dois bien avouer que j'étais un peu fébrile à l'idée de ne pas aimer ce livre autant que les autres de l'autrice. J'adore ce qu'elle écrit mais avec Désaccordée, présenté comme un roman fantastique, j’avais un peu peur de moins m'y retrouver.
Mais je l'ai dit, j'adore (le mot est faible) Joanne Richoux. Alors sans être tombée dans une dévotion totale et un amour aveugle, je lui fais assez confiance aujourd'hui pour réussir à me séduire, même sur un terrain qui me semble a priori moins familier.
Et puis, il faut bien le dire, la couverture, juste sublime, m'avait donné très envie ! Bon je sais, cela ne garantit en rien la qualité du contenu... (sauf que là si. Eh ouais !)
Et donc, ce petit doute qui m'avait assaillie en ouvrant Désaccordée, a été balayé dès mes premiers pas, en même temps que Violette, dans ce monde féérique et enivrant.
Ce que je n'aime pas dans les mondes imaginaires, c'est que souvent, pour être tout à fait sincère ( honnêteté et sincérité sont de mises aujourd'hui), je ne comprends rien. Quand c'est trop compliqué (oui mon pauvre petit cerveau sature vite hors de ma propre réalité), je décroche.
Ici, j'ai facilement trouvé mes marques. Joanne Richoux nous transpose dans un monde extravagant, irréel mais pas totalement inimaginable. Elle nous explique d'emblée la façon dont il est organisé : en Trois Ordres, les Vivaces, les Prunelles et les Diapasons, les premiers ayant l'ascendant sur les autres avec à leur tête la Reine Trille.
Une fois les bases posées, on se laisse guider et on pénètre avec curiosité mais aussi beaucoup de plaisir dans ce monde foisonnant, envoûtant et plein de surprises. Dans le palais de la Reine et les lieux qui l’entourent, on rencontre des personnages aux noms très musicaux : Dièse, Sonate, Trille, Bémol, Prélude ou encore le troublant Arpège...
J’ai immédiatement aimé déambuler dans cet univers aux côtés de Violette, m’émerveillant avec elle des splendeurs environnantes, respirant les parfums enivrants, totalement subjuguée. Car c’est un peu la marque de fabrique de Joanne Richoux : nous mettre tous les sens en éveil. Ici, je trouve que c’est encore plus flagrant que dans ses précédents textes. Le genre s'y prête sans doute plus. Tout semble permis. On sent, ressent et imagine parfaitement tout ce qu’elle nous décrit. C’est une des grandes forces de ce récit duquel on ressort avec l’impression d’avoir voyagé dans un extraordinaire ailleurs, goûté des saveurs nouvelles, humé des senteurs étonnantes, observé des phénomènes surréalistes, le tout dans un décor aux couleurs incroyables. C’est une expérience qui nous met sens dessus dessous.
C’est rare cette faculté de transmettre aussi bien toutes ces sensations différentes. Joanne Richoux la maîtrise.
Et cette sensualité exacerbée se manifeste aussi dans l'expression des sentiments et notamment dans la relation intense que va entretenir Violette avec Arpège, jeune homme qui la trouble profondément. Il lui fait totalement perdre ses moyens. Leurs rencontres donnent lieu à des scènes, comment dire, chargées d'une certaine tension...
Autre gros point fort de ce texte, c’est son côté musical. A travers l’écriture même de Joanne Richoux déjà mais aussi grâce à des références multiples (paroles et extraits de chansons) qui jalonnent le récit et l’accompagnent parfaitement mais surtout grâce au monde imaginaire dans lequel Violette évolue. Tout n’est que musique et magie. On est complètement enveloppé, immergé, comme au cœur de cette fameuse boîte à musique qu'ouvre Violette au début du roman.
Désaccordée, en plus d’une ambiance bien particulière et d’une écriture pleine de poésie et de sensualité, n'en reste pas moins une véritable aventure où Violette avance à l’aveuglette avec tous ses sens sollicités à outrance et en perte de repères. Ce monde inconnu est dangereux. On le sait dès le départ puisque la jeune héroïne va aussi devoir cacher sa véritable identité. Sur les conseils de Dièse, elle va se faire passer pour Croche, la fille de la reine Trille, disparue il y a de ça plusieurs années. Violette n’a pas le temps de réfléchir et se glisse dans ce rôle de composition, improvisant en permanence. On sent que derrière cette beauté, cette magie, le danger guette. Tout s'enchaîne rapidement dans ce récit. Pas le temps de s'ennuyer ou de tergiverser. Violette est prise au piège et va devoir trouver une issue... Et comme d'habitude avec l'autrice, cela ne se fera pas sans heurt, ni peine.
L’exubérance, l’extravagance, la volupté (tiens, ça ne vous dit pas quelque chose?) sont partout mais cachent des faux semblants, des jeux de cour malsains et des mensonges. J'ai retrouvé dans toute la partie qui se déroule au Palais des éléments qui m'avaient beaucoup plus dans Marquise notamment quand l'amour entre en jeu, rendant le tout plus complexe.
Bref, je suis séduite par Désaccordée qui m’a permis de m’évader, de rêver, de trembler ( de peur mais pas que...), de m'amuser, le tout sur une bande-son éclectique. J'ai découvert Joanne Richoux sous un nouveau jour avec un nouveau roman peut-être différent de ses précédents mais sans aucun doute un roman qui lui ressemble énormément.
Pour les mélomanes.
Pour ceux et celles qui aiment les univers hauts en couleurs.
Pour ceux et celles qui aiment les histoires d'amour compliquées.
Pour ceux et celles qui aiment Joanne Richoux.
Pour tous et toutes à partir de 14 ans.
#VosCommentaires