Il y a chez Alexandre Chardin un petit grain de folie, un petit je-ne-sais-quoi qui donne à ses romans une saveur particulière.
J'avais lu précédemment Ma fugue dans les arbres (Magnard, 2019) que j'avais vraiment beaucoup aimé. Loufoque et sensible, ce texte m'avait beaucoup touchée et en même temps un peu déroutée.
Déroutée, je le suis aussi après ma lecture de son nouveau livre qui s'adresse à des ados : Le cercueil à roulettes.
Déroutée, certes, mais conquise car l'auteur n'a pas son pareil pour nous parler des choses de la vie, même quand il s'agit de la mort.
"Gabriel a pris la route un matin, sans parents pour le retenir.
Il marche seul et, à son passage, on s’interroge. Qui est cet adolescent vagabond ? Que cache-t-il dans son étrange caisse à roulette, plus grande que lui ?
De fermes en villages, de villages en forêts, de bitumes des départementales aux courants de la Loire… un pas après l’autre, Gabriel poursuit une quête insensée dont il garde le secret. Mais sans qu’il l’ait prévu, ce sont les rencontres qui vont finalement le guider."
Je pense que ce texte pourra heurter la sensibilité de certains ou certaines. Clairement. Il faut quand même dire que l'auteur y va fort.
Si on résume grossièrement, on pourrait dire que "c'est l'histoire d'un gars qui trimballe le corps de sa mère dans une voiture à pédales."
Alors dit comme ça, c'est juste effrayant. Et complètement hallucinant, non?
Mais en réalité, de ce postulat de départ, Alexandre Chardin, avec tout son talent, nous entraîne dans une aventure humaine extraordinaire sur les chemins du deuil. Ce voyage insensé jalonné de rencontres improbables va aider Gabriel, le héros, à comprendre beaucoup de choses, accepter la mort de sa mère et trouver un certain apaisement.
Car il en a bien besoin. Le jeune homme souffre et il est en colère. Il faut dire qu'il a toutes les raisons du monde de l'être: la disparition de sa mère, la trahison de son père lui aussi décédé et cette décision, dernière volonté incompréhensible et inacceptable pour lui : sa mère veut être enterrée à côté de son ex-mari, ce père que Gabriel a désavoué.
De cette colère va naître une idée folle : sa mère doit reposer ailleurs. Le jeune homme va y veiller. Ce projet prend forme et devient obsessionnel. Alors il prépare son expédition, en secret de certaines personnes, avec l'aide d'autres.
Tout est enfin prêt. De nuit, Gabriel déterre le cercueil de sa maman, le cache dans ce véhicule bricolé et il part, traînant derrière lui son fardeau et sa peine.
Une fois sur la route, il va se mettre en quête de l'endroit parfait pour que sa mère repose en paix ou du moins loin de celui qui a fait tant de mal à leur famille. Le périple qui s'annonce semé d'embûches va aussi être l'occasion de réfléchir et de s'ouvrir aux autres.
Car, clairement, la puissance de ce roman, au-delà de la gravité du sujet, émane de toutes ces rencontres : des hommes, des femmes, des adolescents, des enfants... Toutes différentes, elles vont apporter un soutien précieux à Gabriel dans sa folle entreprise. Chacune d'elle lui permet de continuer à avancer au sens propre (manger, se reposer, se laver...) comme au figuré. On y découvre des gens qui ne vont pas hésiter à ouvrir leur porte et leur coeur à Gabriel qu'ils ne connaissent pas. Tous et toutes ont quelque chose à nous raconter ou à nous faire partager.
Au fur et à mesure, le jeune homme grave, à côté de celui de la défunte, les noms de ses ami.e.s de passage sur son funeste bolide dont personne ne soupçonne le chargement lourd et terrible. Peut-on seulement l'imaginer ?
J'ai vraiment été très émue par tous ces personnages que l'on croise au fil de l'histoire. Alexandre Chardin propose une galerie de portraits touchante.
Finalement, il y a beaucoup de bienveillance, très peu de violence. Cette aventure qui aurait pu être glauque est très lumineuse. Oui, je suis sûre que vous doutez. Mais non. Je vous assure qu'en le lisant vous comprendrez.
C'est un récit comme j'ai rarement eu l'occasion d'en lire. C'est un roman qui demande peut-être un peu de laisser-aller pour ne pas s'arrêter au côté incroyable et morbide(oui quand même) de l'histoire. Car il y a beaucoup de beauté malgré la terre, la mort et les larmes.
Alexandre Chardin a fait un pari osé en écrivant Le cercueil à roulettes mais, pour moi, c'est un pari gagné.
Pour ceux et celles qui n'ont pas peur de parler de la mort.
Pour ceux et celles qui aiment les voyages atypiques.
Pour ceux et celles qui aiment les belles rencontres.
Pour tous et toutes à partir de 14 ans.
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